mercredi 12 décembre 2012

Lecture : "Rues Barbares - Survivre en ville"

"Quittez la ville. C'est pour votre bien." (p.33)

Préambule : Dr Prepper & Mr Survivalist


Avant d'attaquer le compte-rendu de lecture, je voudrais faire une petite mise au point. Selon moi, le monde de la prévoyance se divise en deux catégories : les preppers (de l'anglais preparedness : fait d'être prêt) et les survivalistes. Il y a souvent un clivage plus ou moins précis entre ces deux mouvements.
Les preppers se préparent ou sont prêts à vivre lors d'une rupture de la "normalité", que ce soit une crise économique ou un ouragan, que ça dure une semaine ou 3 ans. Leur but est d'être résilients, de ne pas se laisser ballotter par le courant. Les survivalistes se préparent ou sont tout autant prêts à affronter ces ruptures de la "normalité", mais leur réflexion les a amené à croire que le monde dans lequel on vit va s'effondrer incessamment sous peu, dans 5 ou 10 ans. Pendant la Guerre Froide ils se préparaient à l'holocauste nucléaire, pendant les chocs pétroliers ils se préparaient à l'effondrement économique, à la fin des années 1990 ils se préparaient au bug de l'an 2000, de nos jours ils se préparent aux conséquences d'un crash énergétique, bref ce sont des doomers (de l'anglais doom : situation catastrophique inéluctable) qui entendent s'adapter à un changement irréversible et profond de la société.
Je me positionne entre ces deux courants, en développant ma "prévoyance totale". Ce n'est qu'un idéal vers lequel on peut tendre mais qu'on ne touche jamais.

Qu'est-ce qu'une ville ?


C'est une très bonne question que les auteurs ont développé dans les premiers pages. Nous découvrons ainsi à quel point les agglomérations sont dépendantes du "système de support" et que si en temps normal on peut y trouver plus aisément du travail et des activités socio-culturelles, elles deviennent, en cas de rupture de la normalité, de véritables trous à rats dans lesquels la survie est possible mais peu enviable. D'où la phrase citée en légende de la couverture ci-dessus. Une ville, tel un malade sur un lit d'hôpital, fonctionne grâce à un afflux constant de ressources provenant de l'extérieur ; plus elle est peuplée et étendue, plus elle est fragile.
Pour ce qui est de la taille, je citerais mon amie Wikipedia (source):
En France, où l'organisation municipale est devenue uniforme, l'INSEE définit la ville selon le critère de l'importance du peuplement et de la continuité de l'habitat. Une ville se définit par une population d'au moins 2000 habitants, dont les habitations doivent être à moins de 200 m chacune.
En Suisse, une ville est soit une commune de plus de 10 000 habitants, soit une commune possédant ce statut depuis le Moyen Âge.
Autant "survivre en ville" est envisageable dans une commune de 30 000 habitants, autant c'est un cauchemar dans une agglomération comme le Grand Paris. Autant un francilien peut se dire prepper car il pourra nécessairement survivre sur place lors d'une rupture temporaire de la normalité, autant il est suicidaire et/ou schizophrène s'il se dit survivaliste et qu'il prétend survivre à l'effondrement du monde moderne.
Ce qui est intéressant dans ce livre, c'est le mélange subtil entre le survivalisme de Piero et la prévoyance de Volwest. Ils sont tous les deux d'accord pour dire que la ville n'est pas un environnement agréable en cas de rupture de la normalité, mais dans la vie de tous les jours l'un se prépare à l'effondrement de la société globale alors que l'autre travaille son indépendance sans disserter sur la fin du monde moderne. Le livre est donc destiné aux citadins preppers, voir même aux survivalistes, mais ces derniers doivent savoir qu'en cas de gros bronx durable, les grandes villes seront de véritables cercueils et qu'il serait pertinent de déménager préventivement vers une ville de plus petite taille.

Vous avez été prévenu !


Qu'elle qu'en soit la raison, vous n'envisagez pas l'exode rural. Pour compenser la fragilité de votre situation urbaine, il vous faudra mettre en place de nombreux filets de sécurité qui sont détaillés avec plus ou moins de profondeur dans ce livre, selon la hiérarchie déjà utilisée dans le précédent livre de Piero : eau, nourriture, hygiène et santé, énergie, connaissance, défense, lien social. Ces sept facettes de la préparation sont abordées d'un angle de vue bien évidement plus citadin que dans "Survivre à l'Effondrement Economique" mais si on en fait la comparaison, il y a beaucoup d'équipements, de systèmes et de compétences qui sont similaires. Après tout, la survie c'est la survie ! Mais en ville on a le problème de la densité de population, et donc il y a des choses qui seraient facilement mises en place à la campagne et qui demandent moult précaution en agglomération quand les "prédateurs" (ou "Alpha" d'après la terminologie utilisée par les auteurs) rôdent comme par exemple utiliser un panneau photovoltaïque, faire cuire du couscous ou faire sécher son linge au soleil. Je m'attendais à une présentation nouvelle, peut-être plus emprunte du style de Volwest.

7 points à développer


  1. L'eau devient très précieuse en cas de coupure du réseau en milieu urbain, et vous devrez vous soucier de pouvoir en acquérir, la filtrer, la purifier et la stocker. Plusieurs méthodes sont expliquées pour chaque étape, avec un niveau de détails adapté à l'importance de cette ressource primordiale : 72h suffisent à mourir de déshydratation, et boire une eau souillée peut entraîner la mort à cause de pathogènes ou polluants. Quel filtre choisir, quel contenant ergonomique, où chercher de l'eau en ville, comment doser la Javel etc.
  2. Le citadin aura du mal à produire de la nourriture, mais une grande partie des efforts qu'il peut faire pour se prémunir de la pénurie sont développés dans le chapitre sur l'alimentation. On regrettera l'absence du concept de tour à patates, qui est pertinent quand on a un balcon ou une grande fenêtre au sud. La production et la conservation des aliments, le stockage tournant ainsi que le petit élevage, les pièges et la pêche sont abordés. C'est une bonne base de départ qu'il faudra compléter par des livres références dont certains sont listés dans le chapitre connaissance.
  3. Le chapitre sur l'hygiène est celui qui m'a le plus fait peur, avec cette liste d'affections et les traitements correspondants : bisocadyl, diclofénac, cetirizine, pantoprazole... enfin que des noms barbares ! Dans un contexte dégradé où les maladies qu'on croyait disparu vont faire surface, l'hygiène partagera les survivants des macchabées. Ce n'est pas un sujet à prendre à la légère. Mieux vaut prévenir que guérir. Justement guérir, ce chapitre donne des pistes pour s'équiper de matériel et de médicaments afin de traiter tant que faire se peut les problèmes médicaux qui pourraient gâcher votre journée : une carie, une foulure, une infection etc. Bien évidement, l'accent est mis sur la nécessité de se former un minimum et de se documenter, car c'est un sujet très vaste.
  4. Le citadin est un consommateur net de ressources, notamment d'énergie. Piero et Volwest vous donnent des pistes pour développer un système électrique autonome, pour faire la cuisine et pour ne pas mourir de froid ou de chaud (suivant votre environnement). De bons vêtements vous économiseront de l'énergie, aujourd'hui et encore plus déterminant, en cas de crise. Un système tout con comme la bouillotte n'a malheureusement pas été mentionné (voilà c'est fait).
  5. Un prepper, et encore plus un survivaliste, doit connaître beaucoup de choses. Certains auront plus de faciliter à enregistrer dans leur cerveau des méthodes, routines et connaissances, mais de manière général, il vaut mieux avoir une bonne bibliothèque papier et le chapitre suivant donne une liste non exhaustive d'ouvrages sur des sujets divers et variés comme le tir au pistolet, l'élevage de poules ou les plantes médicinales. Une bonne poignée de paragraphes sont consacrés aux compétences à développer pour augmenter ses chances de survie et son utilité au sein de la société : la réparation et manufacture de vêtements, la transformation des aliments, la menuiserie etc. Vous pouvez piocher dans cette liste bien fournie pour vous choisir un nouveau hobby !
  6. La situation étant déjà craignos dans certains quartiers en temps normal, on peut imaginer que ça sera pire lors d'une rupture de la normalité, et que l'emprise des voyous s'étendra à de plus grandes zones urbaines. La vigilance est toujours la première chose à mettre en oeuvre, et les auteurs énumèrent diverses procédures pour éviter le conflit en premier lieu : connaître son environnement, varier ses déplacements etc. Porter un spray au poivre peut paraître aujourd'hui suffisant, mais cela s’avérera sans doute inapproprié en K2KK. Il vous faudra des armes à feu et savoir comment les manipuler. Un topo est fait sur les différentes armes, ainsi que les outils de gestion de conflits autre que les bâtons de feu. Une lacune incompréhensible : les gilets pare-balles ne sont pas mentionnés, alors que FerFAL par exemple, qui a vécu à Buenos Aires pendant la crise économique (jusqu'à ce qu'il immigre en Irlande car ça devenait vraiment trop le bronx), le conseille dans son livre comme un must-have pour se protéger des balles perdues, même dans la vie quotidienne car le crime augmente avec la misère.
  7. Dernier point important, le lien social. En ville, il n'y a pas beaucoup de gibiers, il n'y a pas beaucoup de sources ni de jardins, mais il y a beaucoup de gens. Ainsi le lien social sera d'autant plus essentiel que l'on se trouve au milieu d'un troupeau de moutons pouvant se transformer en loups en cas de crise. C'est le chapitre qui m'a le plus plu. Il vous faut dès à présent tisser votre réseau social et les conseils ne manquent pas pour vous lancer : se renseigner sur vos voisins, sur leurs problèmes et leurs ressources, participer à la vie politique locale, fréquenter certaines personnes clés comme les médecins, les dentistes etc. Vous avez du pain sur la planche...En situation de survie urbaine ce ne seront pas tant les équipements que vous possédez mais surtout les personnes que vous connaissez qui feront la différence.

Papa, y a la maison qui brûle !!


Il n'y rien de moins "durable" qu'une situation de survie en ville. Ainsi il faut toujours prévoir un plan E comme évacuation. Cela s'appelle le réalisme et même les preppers campagnards doivent prévoir cette éventualité. Un feu non contrôlé en milieu urbain peut se transformer en barbecue géant où les victimes après s'être étouffées se feront rôtir comme des poulets fermiers. Il y a une multitude de raisons qui pourraient vous pousser à déguerpir en quatrième vitesse. Les auteurs vous expliquent pourquoi et comment partir, quel système mettre en place pour évacuer sans trop de peines, où trouver refuge. La constitution d'un sac d'évacuation est un passage obligé qui est assez bien détaillé. Il vous faudra aussi vous coordonner avec vos proches pour que cette sortie par la petite porte se fasse vite et bien, car en K2KK, chaque minute compte ! Vous apprendrez ainsi ce qu'est une procédure standard (SOP) et vous découvrirez l'utilité des systèmes mobiles (SYSMO).

Se Préparer Pour Les Nuls


Si vous ne savez pas par où commencer, ne vous inquiétez pas : les auteurs vous prennent par la main et vous montre le chemin à suivre dans un programme de 30 jours top-chrono un peu similaire à celui que j'avais développé avec les collègues du forum Olduvaï (Devenir résilient : partie 1 et partie 2). Pour chaque jour vous avez une ou plusieurs tâches à accomplir, ainsi que des choses à acquérir. C'est très pertinent car il y a tellement de choses à faire pour devenir prêt que l'on ne sait pas forcément par où commencer. Certaines choses seront impossibles ou inaccessibles pour le lecteur pour l'instant, mais il suffit de diluer le programme dans le temps pour le rendre plus léger et réalisable. Les achats de dernière minute sont aussi abordés, même s'ils ne sont pas conseillés.

C'est la foire... aux questions


Le dernier chapitre avant la conclusion traite quelques questions et réflexions. Les réponses sont dans l'ensemble pertinentes et devraient rassurer l'aspirant prepper quand à l'utilité de sa démarche et donner les solutions raisonnables aux divers problèmes énoncés, que je retranscris ci-dessous (spoiler alert LOL !) :

  • Comment faire si je n'ai pas d'argent ?
  • Là où j'habite, on ne peut pas acheter d'arme à feu !
  • Et la confiscation des armes ? Comme en 1940 ?
  • J'habite dans un quartier à haut risque, mon quartier est dominé par un gang de criminels, dois-je déménager ?
  • J'aimerais partir de la ville mais le prix des maisons est prohibitif... Est-il pertinent de faire un prêt pour acheter une maison ?
  • Vous dites qu'il faut acheter de l'or et de l'argent, mais ces choses ne se mangent pas !
  • Comment faire pour convaincre mon conjoint, ma famille, mes amis ?
  • Mon voisin est un con. Il me déteste. On est en conflit. Comment faire ?
  • Comment convaincre les politiques de faire quelque chose pour nous sauver ?
  • Et s'il ne se passe jamais rien ? Tout cela sert à quoi ?

This is the end, my lonely friend


400 pages, ça passe vite. Si chaque sujet abordé dans ce livre devrait être approfondi autant qu'il le faudrait, cela nécessiterait 24 tomes format A4, et encore ! Je m'attendais à ce qu'il y ait plus de détails. J'avais eu la même frustration avec le précédent livre de Piero, mais cet ouvrage n'a pas vocation d'être une encyclopédie : c'est une base de lancement, une étincelle pour embraser l'imagination et se motiver pour parvenir à un certain état de résilience. Si comme moi vous trempez dans le survivalisme et l'indépendance depuis plus de 5 ans, vous ne trouverez pas grand chose de neuf à vous mettre sous la dent, mais ce livre pourrait vous servir à initier à la préparation vos proches vivant en agglomération. Etant donné que tout l'argumentaire "massue" catastrophique, qui faisait le travail d'entrée en matière dans "Survivre à l'effondrement économique", n'est pas présent dans ce livre-ci, Rues Barbares s'adresse à des urbains ayant un minimum conscience de leur grave état de dépendance aux systèmes de support. Nombreux seront les détracteurs qui crieront au scandale en prétendant que la ville est un enfer et que c'est vendre de la poudre aux yeux que d'éditer une feuille de route pour la survie urbaine. C'est très simple, ils n'ont qu'à se taire et à garder leurs sous.

Questions à 21€ :
  • Si j'ai lu le premier livre de Piero, est-ce que j'ai besoin de lire le second ? Même si j'ai eu l'impression que ce dernier était un peu plus raffiné que le premier, je ne pense pas que cela soit utile, à moins que vous recherchiez des spécificités urbaines.
  • Si je n'ai pas lu le premier livre de Piero, lequel des deux dois-je choisir ? Simple : si vous habitez à la campagne, prenez Survivre à l'effondrement économique, mais si vous êtes en ville choisissez Rues Barbares tout naturellement !
Pour conclure, je donnerais ma note à ce bréviaire de la survie urbaine : 15/20. Autrement dit c'est bien, mais ça aurait pu être meilleur. Je suis perfectionniste que voulez-vous...
J'ai essayé dans cette critique de décrire ce livre au plus juste, mais je peux cependant avoir omis des détails : ce sera à vous de les découvrir !

Pour vous donner une idée du style rédactionnel, vous pouvez lire les 3 extraits disponibles sur le blog de Volwest :
Rues Barbares - Extrait 1
Rues Barbares - Extrait 2
Rues barbares - extrait 3

Disponible sur cette boutique en ligne : Rues Barbares.

6 commentaires:

  1. Super critique !
    Et pour ne rien gâcher, avec une plume et un style de haut niveau ;)
    Merci pour le partage.

    Logan

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  2. Je viens de terminer la lecture mais avec un gros carnet de prises de notes. Sur le fond, je suis en accord avec l'analyse faite ici. Mais différences : je ne légitime pas l'appel "au courage personnel de chacun" à avoir la force d'esprit de tirer sur des personnes au non, je cite de "homicide involontaire" (extrait sur le site de VolWest.

    Spécialiste du domaine : ce livre a été écrit à 90% par une seule plume : celle de Piero. On sent que VolWest a plus apporté des idées et son idéologie. Pour la qualité rédactionnelle : 15/20, pour le côté guide et conseils (pas beaucoup de paragraphes) : 10/20. Pour le mélange, pour moi pas très subtile des deux idéologies : 6/20.

    Principal attrait : un livre que tous les fans des deux auteurs apprécieront. Ils vont se retrouver. Une sorte de condensé de bible.

    Principal défaut : un bon livre de sciences fiction pour des gogos. Un exemple ? Le livre traite exclusivement le sujet "centre des villes, genre buidings). On le sait, toute ville est maintenant constituée d'un "centre ville, qui rejoint les thèses du livre et "le suburbain", constitué de jardins espaces naturels et donc de possibilités de production alimentaires.

    Beaucoup trop de lacunes élémentaires : quid des villes face à la dévastation des milieux nature ? (exemple les Philippines)? Bref, la conclusion du livre est plutôt de l'abandonner dans un temps plus ou moins bref. Oui, le sujet vaudrait bien 24 volumes alors mélanger "un peu de tout" sans rein approfondir ...

    Pas fan.

    John

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  3. @John : retirez de votre site les deux articles que vous avez pompé sur mon blog.

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  4. Excellente critique, merci Loup ! Bien que prévenue, je me suis laissée tenter, et je ne peux que te donner raison. Je suis déçue par rapport aux économies d'énergies dans la cuisine : je voulais quand même vérifier s'ils parlaient de la marmite norvégienne, même pas évoquée !

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  5. Intéressante et riche critique, merci !

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  6. FAIS PETER LE TORRENT OU LE PDF, j'ai pas 20 euros à mettre.

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